I-jumelage, facilitation

 

Frédéric Sultan

 

 

 

 

 

« La machine qui est douée d'une haute technicité est une machine ouverte, et l'ensemble des machines ouvertes suppose l'homme comme organisateur permanent, comme interprète vivant des machines les unes par rapport aux autres. » Simondon 58 ()

 

 

Chapo

De 2003 à 2006, le programme européen de coopération avec l'Amérique Latine ALIS nous a donné l'occasion, au sein de l'association VECAM, de conduire une expérience sur l'usage des Technologies de l'Information et de la Communication (TIC) dans le domaine du développement. Cette expérience, sous le titre de « I-jumelage » visait à faire émerger et accompagner des projets de coopération entre des acteurs locaux situés en Europe et en Amérique Latine pour renforcer leurs capacités à engager des actions de transformation sociale. Cet article tente de rendre compte de cette expérience singulière à partir du point de vue d'un acteur engagé dans sa coordination.

 

Expérimenter des formes nouvelles de coopération en utilisant les technologies de l'information et de la communication, nous a conduits à mettre en place et à animer un dispositif de communication original. Il s'agissait de créer les conditions favorables et de fournir des outils de coopération entre les acteurs. Malgré l'intrusion des technologies la réussite de coopération dépend toujours de la prise en compte réciproque des identités et des différences culturelles et linguistiques, de la qualité de la confiance et de la clarté des engagements de chacun. L'animation de la démarche apparaît aussi importante que le choix des outils de communication. L'usage des technologies tend même à mettre en exergue les rapports que chacun, au Nord et au Sud, comme coordinateur ou acteur local, entretient avec la notion de coopération pour le développement.

 

 

 

Émerge alors la figure d'un acteur singulier : celui qui sera capable de proposer des formes d'appropriation des TIC cohérentes avec l'action et les intentions des acteurs, c'est à dire de modeler la technologie en fonction des besoins d'un projet et de permettre l'élaboration d'instruments pour l'action propre à chaque collectif.

 

Intro : (A rédiger)

notes pour l'intro:

1/

I-jumelage est un dispositif socio-technique d'accompagnement des processus de coopération ouverts.

2/

Il associe des dimensions humaines et techniques pour susciter , guider, orienter, canaliser, dynamiser les interactions entre les personnes et les organisations.

3/

 

4/

la conception et l'utilisation de la plateforme numérique du projet i-jumelage n'a pas seulement pour enjeu de permettre de diffuser l'information, mais aussi de structurer la coopération des acteurs.

5/

La dimension humaine de l'accompagnement du projet ne se limite pas à l'initiation des participants aux TIC ni à une médiation technique chemin faisant, mais elle vise à permettre de maîtriser les dimensions sociales, culturelles, politiques de l'émergence de technologies dont l'action de transformation sociale.

6/

Chacune de ces deux dimensions, (humaines et techniques) offrent des possibilités mais se heurtent aussi à des limites en capacité, souplesse, adaptabilité, efficacité, efficience... etc, auxquelles il faut faire face dans le cadre du projet .

Comment a-t-on fait face ?

Quelles leçons en tirer pour la mise en place d'outils de communication ?

Quelles leçons en tirer pour une meilleure définition des rôles de chacun dans des projets de cette nature ?

 

 

A/ L'initiative i-jumelage

 

A1/ Brève description du projet

I-jumelage est une initiative de coopération pour le développement. Elle est basée sur l'usage des technologies de l'information et de la communication (TIC) pour la réalisation de micro-projets répondant aux besoins d'organisations locales. Le terme « - jumelage» est utilisé à la fois pour désigner l'initiative dans son ensemble, et chaque micro projet, chaque i-jumelage. Le principe d'un i-jumelage est simple : deux groupes au moins, situés l'un en Europe, l'autre en Amérique latine, se rapprochent pour bâtir ensemble un projet commun. Ce faisant, il utilisent et s'approprient les TIC.

 

 

 

Les i-jumelages associent des acteurs de statuts divers : associations, ONG, collectivités locales, centres sociaux, établissements d'enseignement, organismes de formation, collectifs culturels, bibliothèques, coopératives, micro-entreprises du tiers secteur...

 

Ils peuvent concerner des domaines multiples: l'éducation et la formation; l'intégration professionnelle et sociale; l'accès à l'information; l'exercice de la démocratie et les droits de citoyens; la promotion de la santé, les échanges interculturels; le développement local et le commerce équitable ; la protection de l'environnement... Tous les projets doivent s'inscrire dans une démarche de coopération respectueuse d'un équilibre entre les partenaires impliqués.

 

Les huit jumelages sont accompagnés par des organisations qui leur sont proches.Elles les aident à élaborer leur projet, les assistent dans le processus de coopération(rencontre et découverte mutuelle), et leur proposent de partager leurs expériences et leur réflexion critique sur cette démarche.

 

I-jumelage est donc une expérience sur les enjeux de l'appropriation des technologies de l'information et de la communication dans le contexte de la coopération internationale. Elle a été mise en place par l'association VECAM, en partenariat avec différentes organisations situées en Amérique Latine et en Europe.

Cette expérience s'est réalisée dans le cadre du contrat @LIS-ISN(). Une quarantaine de micro-projets de coopération ont été accompagnés durant une période de 18 mois (de juin 2005 à décembre 2006)().

 

Alis – ISN est une des mesures d'accompagnement du programme de coopération ALIS, financé par EuropAid de 2002 à 2006 en Amérique latine.

 

 

 

Le projet i-jumelage est une démarche de recherche action qui s'articule autour de l'obtention de3 résultats de différentes natures.

 

Le premier est de nature concrète : c'est l'ensemble (une cohorte) des projets de coopération, les i-jumelages, dont le type idéal est une association entre deux organisations jumelles pour la réalisation d'un objectif commun.

 

Le deuxième est de nature méthodologique. C'est la constitution d'un ensemble de connaissances et de réflexions sur l'usage des TIC pour le développement et la coopération. Il prend la forme d'un centre de ressource basé sur un site internet doté de documentations utiles dans le cadre de la conduite de projets de coopération et un ensemble d'outils de communication destinés à permettre une mise en commun de l'information (listes de discussions, lettre d'information, bases de données, personnes ressources, etc).

 

Le troisième résultat est de nature politique. C'est la formalisation d’un ensemble de propositions concrètes relevant tant de la coopération internationale que des politiques liées aux TIC pour consolider le développement local.

 

B/ La « facilitation » comme accompagnement humain pour une démarche de coopération

la partie B est en cours de structuration :

Dans un premier temps, l'idée a prévalu que ce projet se réaliserait, essentiellement, grâce à la mise en place d'une plateforme électronique de coopération. est rapidement apparu nécessaire de constituer une infrastructure humaine pour accompagner l'émergence puis le déroulement des i-jumelages.

 

Nous avons appelé cette infrastructure humaine « la facilitation ». Cette notion recouvre un réseau d'organisations qui se partagent des tâches d'accompagnement de la démarche de coopération des porteurs de projets. Nous avons nommé « facilitateurs » indifféremment les organisations ou les personnes qui assument ce rôle.

 

Ces organisations ont été choisies sur la base de deux critères plus ou moins explicites : parce qu'elles sont membres de la société civile et parce qu'elles sont plus particulièrement compétentes dans le domaine de l'usage des TIC.

L'appartenance à la société civile signifie que ces organisations se reconnaissent une communauté de valeurs et une certaine vision des enjeux sociétaux liés aux TIC. Ces valeurs et visions inscrivent l'appropriation des technologies de l'information et de la communication dans un projet transformation sociale et d'émancipation des personnes et d'éducation populaire.

 

 

La compétence dans le domaine de l'usage des TIC se traduit par le fait qu'elles entretiennent une relation de fournisseur de ressources méthodologiques et techniques avec les autres acteurs locaux.

 

Dans le cadre de i-jumelage, chaque facilitateur s’est engagé à accompagner l'émergence de dix (10) projets de coopération. Chacun prodiguera aux porteurs de projet dont il a la charge des conseils et une aide pour définir le projet, faciliter la communication entre les partenaires, la recherche de financement…et l'usage des TIC.

 

Pour chaque i-jumelage accompagné, les facilitateurs doivent travailler par paire chacun accompagne l'un des deux porteurs de projet associés dans le i-jumelage. Chaque i-jumelage concerne donc au moins une paire de porteurs de projet() et deux facilitateurs.

 

Mais progressivement, les facilitateurs s'impliqueront aussi un niveau global du projet :

 

Cette partie devra être complétée avec une explicitation des bases théoriques notamment :

Cette approche première s'appuyait sur un certain imaginaire() de la technologie et d'Internet en particulier, qui au fond, attache la perspective d'un horizon infini de « progrès » des sociétés humaines à l'information et la communication.() On pourrait s'appuyer notamment sur les travaux de Philippe Breton sur l’utopie de la communication (1992), d’Armand Mattelart sur l’invention de la communication (1994), de Patrice Flichy sur l’imaginaire d’internet (2001) pour mettre les mythes, l’utopie, l’idéologie, voir les croyances, mobilisés autour des TIC en évidence.() C'est pourquoi, il serait utile d'expliciter le cadre de notre démarche en dépassant le recours à cette seule catégorie, la représentation de la technologie, comme cadre d’analyse :

- pourquoi on considère qu'il est important de coopérer ?

- mieux définir ce qu'est la coopération par distinction d'avec la collaboration, (approfondir la question du TCAO) distinction entre les notions de collaboration et de coopération : c'est à dire entre travailler ensemble et travailler dans un but commun. Notre démarche s'inscrit dans une logique qui relève du Travail Coopératif Assisté par Ordinateur (TCAO) telle que définit par Sylvaine Nugier().

- situer l'approche d'éducation populaire pour ce qu'elle est : une démarche d'émancipation de prise de conscience de la condition d'opprimé (Paulo Freire). Paulo Freire's learning principle's are instructive within this context and are worth remembering:

'Solutions' are often part of the problem. Asking the right questions is always harder than providing 'the right answers'.

Au fond le rôle du facilitateur est de créer les conditions de la coopération pour répondre au besoin de dépassement de la condition d'opprimé. Le projet i-jumelage visait à construire un outillage qui facilite la coopération. Le facilitateur intervient dans la domaine de la formation des leaders sociaux sur les enjeux des TIC. Et il serait utile de faire mieux apparaitre quelles conditions étaient nécessaires pour la réussite du projet du coté de la facilitation humaine.

- situer les valeurs reflétées par la volonté de s'inscrire dans le mouvement pour le logiciel libre et la production de biens communs : choix des logiciels, statut des contenus produits en commun, mode de gouvernance du dispositif.

- signaler les distorsions que peut installer la situation de coopération internationale : le partage des présupposés théoriques et idéologiques est largement pervertis par situation de coopération internationale qui tend à installer des rapports de clientélisme et de sous-tratance entre les partenaires. La coopération est un marché et les acteurs du développement perçoivent ce type de projet, au moins pour partie, sous l'angle économique.

- VECAM se place plus dans une posture d'expérimentateur de démarches de coopération que d'outils. Cette approche ne serait-elle pas un mode opératoire spécifique de l'association qui articule ainsi pensée et pratique sur des outils numériques, mais aussi sur la coopération, la participation et la citoyenneté ?

créer des conditions plus favorables à la prise en compte des besoins et à l'implication des utilisateurs dans la définition les cahiers des charges des outils et des dispositifs socio-techniques à venir.

 

S'inscrit dans un mouvement social pour l'accès à la connaissance.()

 

Contribuer à l’émergence d'un milieu d'animateurs attachés à l'analyse de ces pratiques.

 

 

 

C/ La plate-forme i-jumelage,

C1/ Le principe : une plate-forme numérique comme technologie pour la coopération

 

Une plateforme numérique a été conçue et mise en place spécialement pour cette initiative. Nous allons voir dans la partie qui suit ce qu'est cette plate-forme, comment elle a été conçue puis utilisée.

 

Elle est composée d'un ensemble d'outils destinés à renforcer les possibilités de coopération entre les participants.

 

L'enjeu de cet outil ne se limite pas à la circulation de l'information. Nous avions aussi pour objectif de renforcer la capacité des acteurs à structurer la coopération entre eux. La plateforme i-jumelage est un système dont le coeur du cahier des charges est de permettre à plusieurs acteurs un travail en commun. Il s'agit de favoriser la communication au sein et entre des groupes de travail, et de faciliter le partage de ressources et la coordination des activités vers un but commun. L'usage de cette plateforme doit permettre de renforcer la cohésion de l’ensemble des acteurs et leur implication individuelle dans le projet collectif.

 

 

 

Mais cela ne doit pas faire oublier que les participants utilisent aussi d'autres outils de communication tels que le courrier électronique, les systèmes de téléphonie sur IP et la messagerie instantanée. La plateforme numérique i-jumelage n'est que la partie émergée d'un système plus complexe, à prendre en compte pour comprendre les phénomènes d'appropriation des TIC en jeu dans une initiative de cette nature.

 

C-2/ Présentation de la plate-forme i-jumelage

 

La plateforme i-jumelage regroupe dans un même site Internet un espace de publication collective, une base de données des utilisateurs et un ensemble de listes de discussion. Elle est conçue pour répondre à différents besoins : l'utilisateur doit pouvoir présenter son projet, identifier son ou ses partenaires potentiels, diagnostiquer les besoins de leur projet de coopération, se mettre en lien et partager des ressources documentaires.

 

Elle offre la possibilité de visualiser la répartition géographique des membres du réseau par continent et par pays et de leur adresser un e-mail.

 

Elle offre aussi la possibilité de partager un espace dédié à un i-jumelage : un (« espace projet »). Chaque « espace projet » constitué autour d'une liste d'utilisateurs, d'un espace d'archives, d'une liste de discussion et d'un Wiki. Par ailleurs, des listes de discussion sont à la disposition de chaque projet, avec pour certaines un système de traduction automatique.

 

Ce site Internet () est accessible avec ou sans identification de l'utilisateur. Ses contenus sont libres sous licence Créatives Commons.

 

Sur le plan technique, la plate-forme est basée sur l'association du logiciel SPIP et de modules de base de données PHP/mysql pour la cartographie, la gestion des utilisateurs et des documents.

 

La plateforme i-jumelage permet d'identifier et de mettre en relation des personnes et de produire ou capitaliser des productions individuelles et collectives. Par contre, elle ne permet ni délibération sur un objet particulier, ni communication synchrone : elle ne permet pas de commenter un objet, notamment de délibérer collectivement sur les projets i-jumelage et leur évolution, ni de formaliser la prise de décisions collectives (avant, pendant et après le déroulement de cette opération). Toutes fonctionnalités qui permettraient de faciliter l'accompagnement et de conservation de la trace du processus de coopération.

 

C-3 / Description chronologique de la mise en place de la plate-forme.

 

Pour expliquer la conception du site, il n'est pas inutile de revenir sur le contexte et les expériences antérieures des acteurs qui sont engagés dans ce projet. En 2003, le web 2.0 n'existe pas encore. L'idée que l'on se fait au sein de Vecam, de ce que doit être une « plateforme collaborative» est essentiellement basée sur l'expérience des outils de publication collective (SPIP) et des premières outils de partage de documents et d'animation de réseau (Télébotanica, Brest, ...). Il s'agissait pour ces communautés de rendre visible leur activité à travers une présentation cartographique des membres et des projets, et de démultiplier les capacités des non-informaticiens à être les producteurs d'information en partageant les contenus (co-publication SPIP, Wiki), en facilitant l'implication dans des processus de participation grâce à la rationalisation des flux de circulation de l'information (listes de discussion, forum, rss) et la conservation des traces des activités collectives de l'organisation.

 

 

La conception de la plateforme I-jumelage s'inscrit dans une démarche d'expérimentation d'outils numériques de communication mais aussi et surtout de pratiques collaboratives et participatives à des fins de changement social. C'est cette double contrainte qui va structurer la mise en place du site internet i-jumelage et sur le déploiement de son utilisation.

 

C4/ A propos de la méthode et des conditions du développement de la plate-forme :

C4.1 Les temps de la conception

Le site internet est conçu en deux phases (). Dans un premier temps, la rédaction d'un cahier des charges est entreprise avec la collaboration d'un ingénieur informatique de FUNREDES, l'un des partenaires du projet situé en République Dominicaine.

Dans un second tremps, VECAM reprend la main seule pour faire réaliser le site Internet i-jumelage.

Le travail réalisé avec Funredes visait à définir les fonctionnalités attendues d'un site web à partir de l'énumération systématique des besoins que les utilisateurs rencontreront dans la démarche de coopération et concevoir des outils adéquates.

 

Cette approche rationnelle, est logique du point de vue de l'ingénieur qui se place dans la perspective de produire un outil répondant à un besoin identifié. Or, le dispositif de coopération à l'échelle micro, le i-jumelage, n'est pas suffisamment défini. Il apparaît rapidement impossible de construire un instrument pour une production standardisée des i-jumelages.

 

L'équipe de VECAM cherchait quand à elle, à articuler entre eux des outils collaboratifs utilisés en 2003 (SPIP, WIKI, listes de discussion, représentation de la situation géographique des acteurs), en un dispositif socio-technique singulier pour servir une méthodologie en train de se définir pas à pas avec les acteurs du projet.

 

Ce site réalisé pourrait être assimilé à une boite à outil.

Sa réalisation est confiée à une association() proche de VECAM qui est reconnue tant pour son savoir faire technique que pour ses compétences d'animation.

 

Ce choix résulte autant d'un arbitrage technique que stratégique :

 

 

une plateforme, dont le coût, si un changement devient nécessaire, n'est pas rédhibitoire, et qui offre la possibilité de trouver des convergences et des soutiens potentiels auprès des réseaux d'utilisateurs.

Cette démarche est une tentative de dépasser des rapports de type client / fournisseurs entre les partenaires du projet (VECAM et Funredes) pour instaurer une coopération. Mais son évolution, et l'éviction de Funredes, met en évidence les limites rencontrées :

 

Si le second de ces points renvoie directement aux conditions d'une coopération équilibrée, (chapitre précédant), le premier met en évidence les rapports entre concepteurs et utilisateurs des TIC.

 

Malgré la volonté affichée d'une approche participative de ce projet, l'essentiel de la plateforme ne sera pas conçue avec ses futurs utilisateurs (porteurs de projet ou facilitateurs). La plateforme est réalisée dans le même temps que s'élabore la méthodologie du projet, et donc avant même l'identification des facilitateurs et à fortiori celle des porteurs de projet. Cette situation pèsera de manière importante sur la motivation des facilitateurs à promouvoir l'usage de cet outil auprès de s porteurs de projet.

 

 

On peut, bien sûr, mettre cette situation sur le compte de la pression exercée par le cadre de la coopération. EuropAid et les membres du consortium ALIS ISN, sont tous très pressés de voir apparaître une plateforme qui répandrait par "la magie de la technique", la coopération sur la surface du continent latino-américain.

 

Mais une autre lecture est possible. Les approches de VECAM et de FUNREDES semblent se rejoindre sur un point : la conviction qu'il est possible de construire une plate-forme sur la base du seul diagnostic des besoins réalisé par des intervenants qui ne sont pas nécessairement les destinataires finaux de cet outil. L'expérience et/ou la compétence technique seules suffiraient à concevoir les réponses à mettre en oeuvre. Nous sommes là face au limites de l'intervention des techniciens, qu'ils soient en charge de travailler sur les outils ou les pratiques sociales.

 

Dans ces circonstances, nous constaterons qu'il est plus difficile de dépasser une logique de « service au client » et d'impliquer les acteurs dans le processus coopératif.Cela tend à montrer que la conception des instruments fait partie intégrante de l'appropriation des TIC.

 

 

C- 5 Les usages

C-5.1Description des usages de la plateforme i-jumelage

Aucune étude exhaustive des usages de la plateforme i-jumelage n'a pu être réalisée au cours du projet ni après. Nous en sommes restés au stade des impressions, par nature, très différentes. Il faut donc commencer dans la mesure du possible par revenir aux chiffres et aux faits.

 

Les usages de la plateforme en quelques chiffres :

Espaces projets

La répartition géographique des utilisateurs identifiés :

Listes de discussion :

Co-publication / centre de ressoures

 

Ces chiffres sont faibles eu égard à l'ambition du projet et du programme ALIS. Il doivent nécessairement nous amener à nous interroger sur les qualités et les défauts de la plateforme dans le contexte de ce projet.

 

Mais il faut cependant tenir compte du fait que l'usage de la plateforme n'est pas une obligation pour participer au projet. Le i-jumelage se concrétise, dans la réalité ,sous forme d'une action de coopération et non pas d'une activité numérique sur le site Internet.

 

 

C-5.2- Analyse critique de la plateforme i-jumelage du point de vue des utilisateurs

La critique de la plateforme i-jumelage en a été faite avec les participants eux-mêmes.

Elle met en évidence des aspects liés à la conception technique, l'ergonomie du site, la documentation fournie et les méthodes d'accompagnement des utilisateurs.

 

Les destinataires de la plate-forme sont des acteurs du développement local, des personnes non-initiées () aux technologies de l'information et de la communication. Leur utilisation des TIC est essentiellement celle du courrier électronique. Elles fréquentent très peu les sites internet et encore moins les plateformes collaboratives naissantes en 2003/2004.

 

 

- Les utilisateurs rencontrent des difficultés d'orientation dans le site.

 

- A cela s'ajoutent des problèmes liés au multilinguisme. La langue est une difficulté générale dans la plate-forme. Problème de configuration : l'organisation de l'information basée sur 4 rubriques/langues a créé la confusion notamment parce que la langue utilisée (choisie par la configuration d'utilisateur) n'est pas systématiquement respectée par le système (exemple, même si votre configuration utilise le Portugais comme première langue, le site Web peut parfois s'ouvrir en anglais). Cette fonctionnalité de base est restée déficiente pendant longtemps :

 

 

 

Enfin la plateforme a été l'espace utilisé pour rendre visible à la fois l'initiative i-jumelage et fournir des outils aux projets i-jumelage. L'ouverture des espaces projets a été un indicateur de la mise en place de ces projets pour les institutions commanditaires (EuropAid et ALIS-ISN). L'ouverture des espaces-projet fut une décision de la coordination qui ne répond pas toujours à une attente/demande de la part des porteurs de projets. Cela crée une confusion sur le statut de cet espace pour ses utilisateurs.

 

Certaines des difficultés rencontrées par les utilisateurs montrent qu'il aurait été préférable de construire une plateforme en tenant compte des connaissances des outils numériques et des pratiques sociales et culturelles liées à l'information() des participants.

Le choix de SPIP, dans un contexte dont il est quasi absent, rend la moindre difficulté insurmontable. Les facilitateurs traduiront cela par «l'intégration de fonctionnalités différentes dans le même site Web fonctionne mal avec le système SPIP à ce niveau de version.»

 

 

C-5.3 Les démarches pour corriger les difficultés rencontrées :

Différentes mesures ont été prises pour tenter de corriger les difficultés rencontrées lors de la mise en place et de l'usage de la plateforme par les participants.

 

D'une part, une démarche d'initiation et d'accompagnement des usagers est mise en oeuvre. Un ensemble de documentations techniques descriptives ont été produites dans des formats texte et audio et dans les quatre langues du projet. Des séances d'initiation des utilisateurs seront réalisées avec la collaboration de certains des facilitateurs, notamment à l'occasion de rencontres nationales ou internationales.

 

D'autre part, l'incitation à l'usage de la plate-forme est modulé. Tandis que l'équipe de coordination utilise systématiquement la plateforme, à la fois comme outil de travail avec les facilitateurs et comme vitrine du projet, son usage par les porteurs de projets n'est pas obligatoire.

Enfin, et c'est certainement le point le plus intéressant, la création du formulaire de présentation de projet, («offre de partenariat») en réponse à un besoin identifié avec les partenaires du projet, est l'embryon d'une démarche collective pour adapter la plateforme aux besoins. C'est un des points de départ de l'échange sur ces questions au sein de la coordination du projet.

 

D - Usage et appropriation des TIC dans le contexte du projet

D1- La perception de leur usage des TIC par les porteurs de projets

 

Au-delà des critiques de la plateforme et des démarches qui visent à y remédier, une série d'interview() réalisées à la fin du projet auprès d'un petit groupe de porteurs de projets montre que les participants à i-jumelage se sentent concernés par l'utilisation des TIC.

Dans i-jumelage, les rencontres physiques ont une importance capitale pour le bon déroulement du projet, dans la résolution des conflits et dans la prise de décisions par rapport au projet. Elles sont source de confiance et participe à la meilleure connaissance du partenaire. Elles sont un espace d'échange de valeurs communes et de compréhension de l'environnement du travail habituel qui permettra comprendre les positionnements, manières de fonctionner et rythmes de travail des partenaires.

Les rencontres virtuelles permettent ensuite de résoudre des questions techniques et ou logistiques. Elles sont un lieu où peuvent s'exprimer des accords ou désaccords entre les partenaires sur les aspects organisationnels du projet, par exemple : la préparation des voyages de terrain, le préparation à l'écriture d'un dossier de financement, la préparation d'une rencontre avec un bailleur de fonds.

 

 

D2 Prendre en compte les freins à l'appropriation des TIC pour les dépasser

L'expérience de i-jumelage à permis de mettre en évidence quelques facteurs à prendre en compte pour l'animation d'un projet ouvert avec des outils de communication numérique :

 

D-2.1 Prendre en compte la singularité des régimes d'usages et des conditions d'accès aux TIC

Dans le cadre de i-jumelage, la majorité des utilisateurs est caractérisée par un faible niveau de connaissance et d'usage des TIC, et dispose d'un faible niveau de qualité d'accès à Internet. Ces caractéristiques amènent à réviser les idées préconçues sur les possibilités de généraliser l'accès et l'usage de plateforme de coopération.

 

Les différences de qualité d'accès induisent des régimes d'usages des TIC différents au niveau individuel et collectif. Les informations sont gérées différemment lorsque le travail s'effectue majoritairement en connexion ou hors connexion et selon la qualité de cette dernière (bas ou haut débit).

 

Les différents niveaux de maîtrise des technologies par les personnes ont tendance à exclure les moins bien lotis. Ils cumulent les difficultés. C'est un facteur, qui peut se transformer en handicap pour une participation équilibrée. Ces difficultés ne doivent pas être sous-estimées dans le cadre de projets de coopération internationaux.

 

D-2.2 Concevoir les scénario d'usage des outils comme des pratiques de communication en lien avec l'action

Le Wiki par exemple, permet d'écrire à plusieurs mains sur un même document. Pour que cette écriture soit efficace, utile pour l'action, il est nécessaire d'établir un protocole d'usage de cet outil plus ou moins formalisé et inscrit dans le contexte d'une action spécifique. Cela relève du mode d'emploi, mais aussi de la mise en forme des pages wiki et de la définition de leur objet et de leur hiérarchie. Ces aspects concernent directement l'animation du processus collectif.

 

L'établissement et l'adoption, (l'invention collective), de ce protocole (qui deviendra un savoir faire collectif propre au groupe) est une difficulté insurmontable qui n'est pas prise en compte par l'un ou l'autre de ces membres.

 

D-2.3 prendre en compte les contraintes imposées aux utilisateurs

L'introduction d'une plateforme contraint plus ou moins les utilisateurs à transférer certaines de leurs pratiques de communication sur ce nouvel outil. Les modes de production et de gestion de l'information subissent une rupture. Chacun a connu le dilemme du choix entre deux Social-networks et a pu mesurer les conséquences induites (temps passé à transférer les contacts, à apprendre à se servir de ces nouveaux outils, etc.). Dans le contexte de i-jumelage, avec des personnes qui font passer la question de l'usage des technologies au second plan, cette rupture peut entraîner l'abandon de la démarche elle-même. Pour le dire autrement, l'introduction d'une plateforme oblige peu ou prou les utilisateurs à s'adapter. Alors une démarche qui vise à outiller une coopération devrait veiller à être basée sur un processus d'adaptation aux pratiques des acteurs engagés dans la démarche.

 

D-2.4 Veiller à donner aux individus et aux organisations, une vision claire de leur statuts dans les espaces de communication

Le projet de coopération i-jumelage engage des organisations. L'usage de la plateforme est basé sur l'inscription individuelle dans un réseau. On passe donc d'un espace ouvert à usage individuel, à des « espaces projets » qui engagent la parole d'organisation à titre collectif. Cette contradiction peut créer le trouble sur le statut des documents échangés ou mis en commun (public ou privé) et sur la nature de la parole de celui qui s'exprime (à titre individuel ou au nom d'un collectif). Il y a donc une nécessité de définir des règles avec les personnes et les organisations concernées. Cela pourrait se réaliser en partie par des moyens techniques, à travers des systèmes de marquage, de validation de documents, ...etc. Mais il faut aussi introduire des procédures d'animation du projet. En tout état de cause, cela ne peut être inventé par le groupe seul et mérite une forme d'accompagnement.

 

D-2.5 Orienter les outils vers la production d'objets utiles pour l'action

Comme on l'a vu dans le chapitre précédent, c'est bien le résultat qui compte. Dans un contexte où l'usage d'une plate-forme est facultatif, c'est ce qu'elle permet de produire qui détermine sa pertinence et sa fréquentation.

Dans certains cas, elle produit du lien social, de l'appartenance à un réseau, et des pratiques numériques assez modestes.

 

 

Il faut donc imaginer sous quelle forme se produit l'action de coopération et inventer les modes de traitement des informations numérisées et leur mise en forme à la « sortie du système ». Peut-on, par exemple, imaginer de réunir les informations de chaque partenaire pour produire une sortie sous différentes formes utiles dans le cadre du projet de coopération : dossier de présentation, plan de travail, plan de voyage et de rencontre, ... ?

 

D-2.6 Partager les pré-requis sur la nature du projet commun.

Pour pouvoir mettre en place des projets de coopération, les partenaires ont besoin de se construire un ensemble de données qui serviront de fondations au projet. C'est cette démarche qui permet de bâtir une relation de confiance indispensable pour la suite. Il s'agit de prendre le temps de répondre ensemble aux questions :

 

 

Faute de cette démarche, les projets n'auront que peu de chance d'éviter de se trouver biaisés, installant des relations inégalitaires entre les partenaires.

 

 

E– Conclusion

 

En cherchant à utiliser des outils numériques pour favoriser la coopération, nous avons mis en place un système socio-technique relativement complexe. Cette expérience nous amène à dessiner les contours d' une fonction originale que nous désignons par le terme de "facilitation".

 

A l'origine utilisé pour désigner le « réseau d'organisations qui se partagent des tâches d'accompagnement de la démarche de coopération des porteurs de projets », ce terme de « facilitation » s'est enrichi d'un sens nouveau. Il intègre maintenant une dimension technique.

 

L'expérience montre en effet que la technique et l'action directe des humains interviennent conjointement pour guider, encadrer les comportements et les actions des utilisateurs.

 

La facilitation embrasse les différents registres de l'action d'un collectif : la circulation et la gestion de l'information, les processus de décision, et la vie sociale des réseaux d'acteurs, toutes choses qui lui permettent de renforcer ses modalités de coopération.

 

Elle s'exerce dans la standardisation des procédures, donc à travers les dispositifs techniques. Mais aussi, parce que certaines de ces procédures ne peuvent être standardisées, à travers l'intervention humaine, qui reste une composante indispensable. Nous la retrouvons notamment dans les processus de modération ou d'accompagnement et d'intéressement humains, comme le montre Manuel Zacklad().

 

De ce point de vue, il ressort que la conception et l'utilisation des outils devraient être considérés comme deux éléments indissociables d'un même cycle de l'action par les TIC. L'usage permet des boucles de rétroactions sur la conception des outils pour les adapter aux besoins du groupe et générer des possibilités nouvelles de coopération.

 

L' exercice de cette fonction de facilitation induit un point de vue particulier quant à la conduite des projets de coopération.

 

- La facilitation se doit de susciter une empathie pour l'usage des outils numériques et orchestrer leur appropriation par le collectif (tout en respectant les écarts importants qui peuvent exister entre les membres d'un même groupe). Cependant l'initiation aux outils numériques n'est qu'une facette mineure de ses composantes.

 

- La facilitation a un impact direct sur la conduite du projet et les dynamiques collectives. Sa conception dépend beaucoup, comme on l'a ressenti dans le cadre de i-jumelage, des conceptions politiques ( au sens large) des acteurs concernés et de leur relations.

 

- La facilitation s'exerce de manière engagée dans le projet. Elle se distingue de l'approche d'un informaticien ou d'un chef de projet chargé de la conception du site Internet. Elle se distingue aussi par certains aspects du leadership du projet, même si elle peut parfois être exercée par la même personne ou instance.

 

- Enfin, il est fréquent que la facilitation ne soit pas clairement identifiée, ni par les acteurs qui en ont implicitement la charge, ni par ses bénéficiaires.

 

Il semble qu'à ce jour il n'existe pas de formalisation du rôle de facilitateur dans la littérature grise francophone. On connaît mal les contours de ce personnage pourtant déterminant pour la réussite de nombreux projets qui font appel aux technologies de l'information et de la communication. De même, il ne lui correspond à ce jour aucune formation instituée en France.

 

Pour certains, le facilitateur pourrait être considéré comme un rôle historiquement intermédiaire avant la disparition de l'humain dans des processus de coopération pris en charge par le Web 2.0 (et bientôt 3.0). Mais cette hypothèse semble peu satisfaisante. D'une part il est permis de douter des possibilités du Web 2.0 pour passer d'une relation de collaboration à la coopération. D'autre part, ce qui donne à ce rôle toute sa pertinence, c'est la capacité à s'affranchir d'une approche seulement basée sur la promotion de l'usage des TIC ou qui se construirait sur l'usage d'une technique particulière. La logique du facilitateur serait plutôt d'oeuvrer à la conception et l'utilisation d'instruments pour l'action collective :

 

Si l'hypothèse que nous retirons de l'expérience du projet « i-jumelage » est juste, alors se posera la question de savoir si elle est généralisable : y a-t-il un facilitateur caché dans chacun de nos projets outillé avec les TIC ?

 

Si c'est le cas, il faudrait alors réfléchir aux chemins de la nécessaire prise de conscience par les animateurs, professionnels comme bénévoles, de leur rapport à la technologie. Une telle démarche porte en germe la revalorisation de l'humain et du politique dans les démarches d'appropriation des TIC.

et passera nécessairement par

l’émergence d'un milieu d'animateurs attachés à l'analyse de ces pratiques propres au mouvement social pour l'accès à la connaissance.

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